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Où en est-on un an après l’arrivée de Milei ?
Notre camarade argentin Emilio Crisi a réalisé une tournée en Europe pour nous parler de la situation politique en Argentine et des moyens de résistance populaire en œuvre. Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre d’une tournée coorganisée par plusieurs groupes de notre réseau anarkismo : Embat (Espagne), Midada (Suisse), UCL (France). S’il a confirmé le tournant ultralibéral et autoritaire de l’Argentine, il nous assure que l’espoir reste permis.
En octobre, nous avons accueilli Emilio Crisi, membre de la Fédération anarchiste de Rosario (FAR), responsable syndical et membre du comité exécutif de l’Association des travailleurs de l’État (ATE). Sa tournée a débuté à Berne le 17 octobre et s’est terminée à Madrid le 30. En France, c’est par Montreuil qu’elle a commencé. Nous avons accueilli Emilio à l’AERI, un lieu autogéré de la ville, où une vingtaine de personnes ont assisté à son exposé et ont pu échanger avec lui. Puis il est parti pour Strasbourg où il a participé à une manifestation de solidarité envers la Palestine avant qu’une vingtaine de personnes viennent échanger avec lui à la librairie La Tâche noire. Enfin, après un passage par Paris et avant d’aller en Espagne, il s’est arrêté à Montpellier, à la librairie La Mauvaise réputation, où plus d’une cinquantaine de personnes sont venues assister aux discussions afin de mieux comprendre les rapports de forces en Argentine.
Un virage libéral et autoritaire
Javier Milei a été investi président de l’Argentine le 10 décembre 2023. L’irruption de Milei au pouvoir est loin de s’expliquer uniquement en termes électoraux. Elle est le corollaire de 15 ans de crise sociale imposée par des décennies de néolibéralisme en Argentine, d’une profonde fragmentation sociale, d’un changement culturel et idéologique à la base, d’un système démocratique représentatif dépassé, et d’un épuisement des projets autoproclamés progressistes. Le candidat de l’extrême droite libertarienne avait promis à ses électeurs et électrices de mettre fin à la corruption des « castes politiciennes », d’en finir avec l’inflation et avec toute forme de « politique d’assistanat ». Cela s’est évidemment traduit par des attaques violentes contre le mouvement social. En minorité au Parlement, il est obligé de faire passer ses lois par Décrets de nécessité et d’urgence (DNU).
Il n’a donc pas les coudées franches mais peut compter sur sa complice, la vice-présidente Victoria Villaruel, négationniste notoire. C’est elle qui a tranché l’égalité parfaite au vote des réformes dérégulatrices (loi Omnibus) de Milei au Sénat, en accordant le dernier vote nécessaire pour les faire passer.
Il multiplie donc les tentatives de s’autonomiser du pouvoir législatif en présidant par DNU, qu’il promulgue et applique avant même qu’ils soient votés par l’Assemblée et le Sénat. Il adopte aussi des mesures très répressives contre le mouvement social. Il a franchi un cap significatif en accusant les manifestantes et manifestants d’être des « terroristes » préparant un « coup d’État ». Ce vocabulaire laisse présager la mise en application de lois anti-terroristes à l’encontre du mouvement social. Le président attaque déjà ouvertement les organisations sociales, médiatiquement et matériellement : les perquisitions à domicile sont chose commune et les menaces permanentes. L’usage de la répression parvient pour l’heure à faire appliquer ce plan d’austérité très violent.
À côté de ça, il est resté dans une logique de rupture et de provocation. Milei veut se forger une image omniprésente et tumultueuse. Son équipe manie le buzz avec une grande efficacité, ce qui lui a permis d’obtenir un très gros score chez les 16-25 ans lors de l’élection présidentielle. L’homme qui passe deux heures par jour sur X crée polémique sur polémique, l’une d’elle ayant même conduit à un conflit diplomatique avec l’Espagne. Milei s’affiche aussi à l’étranger : Israël, USA, Italie, Salvador… rencontrant Musk, Zuckerberg, Bukele, et Trump.
Un gouvernement « turbo-capitaliste »
Depuis 2001, la vitesse à laquelle les conquêtes sociales sont attaquées est sans précédent. À la fin du deuxième semestre de 2023, juste avant l’élection, 41,7 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté selon l’INDEC [1]. Aujourd’hui, la dernière estimation grimpe à 52 %.
C’est que Javier Milei, « l’homme à la tronçonneuse », n’a pas chômé : prix et loyers libérés (+107 % d’inflation accumulée depuis décembre), fin des subventions aux transports (augmentation des prix de 252 %), à l’énergie (gaz +300 %, électricité +150 %). Il a également gelé les chantiers publics, fait des coupes budgétaires tous azimuts, supprimé les financements de l’INCAA [2] et procédé à 25 000 licenciements dans le secteur public. Si on ajoute à cela la baisse relative des salaires et des retraites de 35 % en moyenne, le pouvoir d’achat des classes populaires est en chute libre et on imagine facilement la catastrophe sociale engendrée par LLA [3]. Ces coupes lui permettent de maximiser les profits des capitalistes pour qui il déroule le tapis rouge. Il a notamment signé des accords avec Elon Musk pour l’exploitation du lithium, présent en quantité sur le territoire. Milei s’en prend aussi régulièrement à la communauté LGBTI et a supprimé les financements de l’INADI [4]. Face à ces attaques sur les classes populaires, la CGT argentine [5] s’écrase, muselée par une direction bureaucratique et péroniste.
L’espoir est permis
Si pour l’instant, les classes moyennes restent spectatrices, une grande partie de la population n’arrive plus à tenir et le vase ne peut que déborder. Loin de la retenue de la CGT, la CTA [6] reste plus combative. Les mobilisations en mémoire des disparu·es de la dictature ou pour le sauvetage de l’Université publique ont été fédératrices (plus de 800 000 personnes sur la seule ville de Buenos Aires). Mais nous sommes encore loin d’une vraie résistance unitaire, populaire et pérenne. La résistance au niveau national doit viser à unir les forces dispersées notamment par des grèves générales et des mobilisations contre les lois anti-populaires. En dépassant les divisions entre partis et syndicats, il s’agit de bâtir des alliances solidaires et indépendantes pour défendre les intérêts de la majorité des travailleurs et travailleuses. Au niveau local et régional, les anarchistes ont pour rôle de construire une résistance articulée contre les avancées du secteur privé et les ajustements budgétaires imposés. Dans un contexte de privatisations et de politiques extractivistes, il est crucial de proposer une gestion directe et collective des ressources stratégiques, inspirée par l’autogestion et la démocratie directe, pour défendre les biens communs et les droits des communautés.
Commission Relations internationales de l’UCL
[1] Institut national de la statistique et des recensements. [2] Institut national de l’art et du cinéma. [3] La Libertad Avanza, en français La Liberté avance, le parti de Milei. [4] Institut national de luttes contre les discriminations racistes et la xénophobie. [5] C’est elle qui utilise le terme « turbo-capitaliste ». [6] Centrale des travailleurs d’Argentine, née d’une scission avec la CGT argentine.